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23. mai 2023 — Communiqué de presse

En Guyane, la tortue luth pourrait disparaître de ses sites de ponte historiques

Un déclin de 95% des pontes de tortues luth Dermochelys coriacea dans l’Ouest guyanais en 20 ans. Le rapport Planète Vivante du WWF paru en octobre dernier avait déjà mis en lumière la possible disparition locale de cette espèce emblématique. A l’occasion de la journée mondiale des tortues, le WWF publie un rapport détaillant les causes de ce déclin, et pointe la responsabilité de la pêche illégale. Malgré la mobilisation locale et les annonces récentes du gouvernement, cette menace perdure à forte intensité. Le WWF appelle à des actions ciblées pendant la saison de ponte des tortues marines et un renforcement de la coopération avec le Suriname, sans quoi la plus grande des tortues marines pourrait disparaître de son fief historique.

Une espèce emblématique en déclin

Le nombre de pontes sur la plage d’Awala Yalimapo (réserve naturelle de l’Amana) n’a cessé de chuter, passant de plus de 5000 pontes en 2009, à 72 en 2022.

La tortue luth est une espèce emblématique de la biodiversité guyanaise et française, importante à de nombreux niveaux. Elle est à la fois une tortue marine, un reptile, mais également une icône de la biodiversité : en protégeant la tortue luth, nous protégeons en même temps énormément d’écosystèmes qu’elle fréquente, des zones tropicales jusqu’au cercle arctique. 

Mais cette espèce emblématique voit sa population diminuer de façon dramatique. Depuis la fin des années 2000, le nombre de pontes sur la plage d’Awala Yalimapo (réserve naturelle de l’Amana) n’a cessé de chuter, dans des proportions considérables, passant de plus de 5000 pontes en 2009, à 72 en 2022. Ce déclin est probablement la chute la plus vertigineuse d’une population de vertébrés marins depuis le début du 21ème siècle sur l’ensemble des espaces européens.

Comme pour les autres tortues marines, la tortue luth a une mortalité naturellement élevée dans les premiers stades de sa vie : pour un milliers d'œufs pondus par la femelle, on estime généralement que seulement une tortue a la chance d’atteindre l’âge adulte. Ainsi, la survie des individus adultes est donc d’importance prioritaire pour la survie de ces espèces. Si le changement climatique a un impact direct sur les populations de tortues luth (notamment à cause de l’érosion des plages de pontes), les adultes font  face à une autre menace : les captures accidentelles et notamment les captures accidentelles liées au filets. Dès le début des années 2000, les analyses menées ont confirmé la dangerosité des pêcheries au filet maillant dérivant pour les tortues marines femelles reproductrices. C’est pourtant ce type de filet qui est systématiquement utilisé par les pêcheurs illégaux en provenance notamment du Suriname, dont l’activité illicite longe les principaux sites de ponte historiques.

Jeunes tortues luth (Dermochelys coriacea) se précipitant vers la mer (Guyane)

Mettre un terme à la pêche illégale

Avec un déclin des populations de -95%, une icône de la biodiversité est en train de disparaître sous nos yeux de la Guyane.

Laurent Kelle

La pression de pêche illégale dans l’ouest guyanais est connue depuis plus de 20 ans. Dès 2000, le WWF France adressait un rapport d’analyse au Conseil National de Protection de la Nature du ministère de l’environnement afin d’alerter sur la situation. 23 ans plus tard, les constats les plus récents démontrent que la principale menace pesant sur la survie des tortues luth en Guyane perdure à haute intensité dans la même zone. 29 tapouilles (bateaux de pêche illégale) ont en effet été recensées lors du survol de septembre 2022 par les équipes du WWF France, à proximité immédiate des zones de pontes, un record.

Avec un déclin des populations de -95%, une icône de la biodiversité est en train de disparaître sous nos yeux de la Guyane. En cause notamment : la pêche illégale, avec des pêcheurs venant du Suriname ou du Brésil. Un seul filet, au mauvais endroit, à la mauvaise période, peut avoir un impact dramatique à l’échelle de la population de tortues luth en Guyane. Le gouvernement semble aujourd’hui avoir pris la mesure de cette pression sur l’espèce. Cependant encore aujourd'hui, alors que la saison des pontes débute, la présence des pêcheries illégales persiste. Nous avons besoin de renforcer nos actions de contrôle pendant les périodes de pontes et surtout de coopérer de manière plus efficace avec le Suriname. S’assurer qu'au-delà des annonces, des engagements, des visites, la tortue luth reste une préoccupation majeure. Il en va de la survie de l’espèce en Guyane.

Afin de mettre un terme définitif à cette menace, le WWF France appelle à : 
• Renforcer la coopération avec le Suriname, afin de mieux protéger l’espace maritime de l’estuaire du Maroni côté France et côté Suriname, une zone insuffisamment préservée, alors que les tortues y passent 99% de leur temps durant la saison de ponte.
• Jouer la carte de la transparence : le WWF salue la récente décision de la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) de financer une étude dressant le bilan de cette pression (prévue pour 2024). La collecte et le traitement de l’information relative à la pêche illégale devront continuer au-delà de cette échéance, afin, à terme, de mesurer des évolutions de la problématique, sous forme d’un observatoire partagé localement, et avec le Suriname.