
ECOSEO : Protéger la forêt amazonienne du Plateau des Guyanes
Au nord du continent sud-américain, entre les fleuves Amazone et Orénoque, se trouve l’immensité du Plateau des Guyanes. Avec une superficie de 270 millions d’hectares, il couvre environ un tiers de l’Amazonie. Assis sur un ancien bouclier géologique d’1,7 milliard d’années, il est couvert d’une forêt tropicale vaste et diversifiée. Entre les basses terres, les reliefs de moyenne altitude jusqu’aux hauteurs des ”tepuy”, ces formations géologiques typiques de la région, perchées au-dessus de la plaine alluviale, on y trouve une très grande variété d'habitats, pour partie uniques au monde. Encore relativement épargnée par le développement industriel et extractiviste, cause de grande destruction ailleurs en Amazonie, la région constitue de fait un des rares blocs de forêt tropicale de cette taille encore bien préservé dans le monde. Toutefois menacé par l'orpaillage et la déforestation, sa biodiversité exceptionnelle et unique doit être protégée. C’est ce à quoi contribue le projet ECOSEO, Observatoire de services écosystémiques du Plateau des Guyanes.
Pour approfondir le sujet :
Amazonie, Guyane, Jaguar, Objectif : Climat & Énergie, Objectif : Vie des forêts, Orpaillage illégal, Projets
Un immense réservoir de biodiversité, de carbone et d’eau douce pour l’Amazonie
D’immenses réserves d’eau douce
La région des Guyanes possède d’immenses réserves d’eau douce, estimées à environ 10% des réserves mondiales.
Source : Natural capital report, ECOSEO, 2021.
La forêt amazonienne, et plus particulièrement celle du Plateau des Guyanes, abrite une faune exceptionnelle et riche, avec des animaux emblématiques de l'Amazonie, tels que le jaguar, la harpie féroce, le tapir ou la loutre géante, mais aussi un grand nombre d’espèces endémiques, comme le “coq de roche”.
Elle joue également un rôle primordial dans la lutte contre le changement climatique. En effet, les forêts tropicales humides guyanaises sont des stocks considérables de carbone, à la fois contenu dans les arbres, leurs racines, le sol ainsi que l’ensemble des milliers d’espèces végétales. On estime ainsi que près de 18% du stock de carbone des forêts tropicales du monde se trouve sur le Plateau des Guyanes...
L’eau est également omniprésente dans cette partie de l’Amazonie, dont elle a d'ailleurs tiré son nom. En arawak, une des langues autochtones de la région, Guiana signifie “terre des eaux abondantes”. Partagée entre trois méga-bassins versants - celui de l’Amazone, de l’Orénoque, et des fleuves côtiers atlantiques, comme le Maroni entre le Suriname et la Guyane française - l’eau douce de la région représente entre 10 et 15% des réserves mondiales.
Ensemble, ces composantes - biodiversité, carbone, eau - sont les trois piliers du “Capital Naturel”. Méconnu et surtout peu ou mal évalué, ce capital doit être préservé si l’on souhaite maintenir des écosystèmes en bon état et fonctionnels. Sur le Plateau des Guyanes, ce capital est encore immense mais reste sous la pression grandissante des activités humaines.



Les forêts et cours d’eau sous la pression grandissante des activités humaines, dont l’orpaillage
Une forêt amazonienne sous la menace de l’orpaillage
Depuis le début des années 90 jusqu’à 2018, 215 000 ha de forêt et de lits de cours d’eau ont été détruits par l’exploitation minière légale et illégale au Guyana, Suriname, en Guyane et dans l'État brésilien de l’Amapá.
Source : Gold mining report, ECOSEO, 2021.
Malgré un taux de couverture forestière parmi les plus élevés au monde - 86% en moyenne - et une déforestation relativement faible - moins de 1% entre 2000 et 2015 - en comparaison d’autres territoires de l’Amazonie, les pressions des activités humaines sur les écosystèmes du le Plateau des Guyanes sont en augmentation, à commencer par celle exercée par l’exploitation minière aurifère.
Qu’elle soit légale et illégale, elle est en effet une des principales causes de déforestation dans la région. Entre le début des années 90 et 2018, environ 215 000 ha de forêt et de lits de cours d’eau ont été détruits, en particulier au cours de la dernière décennie pendant laquelle la superficie touchée a été multipliée par trois. L’augmentation a toutefois suivi des dynamiques assez différentes selon les territoires. La poussée 2008-2018 (+ 145 000 ha) est particulièrement inquiétante dans la partie occidentale du Plateau des Guyanes, 61% ayant eu lieu au Guyana, 32% au Suriname, 5% en Guyane et 2% en Amapá. Les niveaux d’impacts peuvent s’expliquer par des différences de contexte géologique, mais surtout socio-économique et aussi réglementaire. Par exemple, il faut noter que si le mercure est interdit en Guyane depuis 2006, ce neurotoxique puissant est encore très couramment employé au Suriname et au Guyana - un projet visant à l’abandon du mercure dans l'exploitation aurifère dont le WWF est partenaire, est actuellement en cours dans ces deux pays. Il pollue les cours d’eau, s’accumule le long des chaînes alimentaires et contamine les populations autochtones dont la diète est composée en grande partie de poissons pêchés localement.
L’aménagement par l’homme de ces territoires et en particulier l'extension des zones agricoles et urbaines, contribuent également à la fragmentation et à la dégradation du massif forestier. Ce sont ainsi environ 300 000 ha qui ont été converti pour l'agriculture et 85 000 ha qui ont été artificialisés entre 2000 et 2015 à l’échelle des 4 territoires étudiés (Guyana, Suriname, Guyane et Amapá). Ces phénomènes s'expliquent notamment par l'importante croissance démographique dans les Guyanes, et la très forte augmentation des besoins de la population en logement, infrastructures, énergie et ressources alimentaires. Tout en veillant à répondre à ces besoins vitaux, il est essentiel de pouvoir s'inscrire dans une trajectoire de développement socio-économique juste et durable pour préserver l'équilibre des écosystèmes à long terme.
Les actions du WWF
"Le projet ECOSEO permet de renforcer la coopération entre les Etats et territoires du Plateaux de Guyanes, indispensable à la préservation des écosystèmes de cette grande région Amazonienne."
Depuis 1999, le WWF est impliqué en Guyane pour une meilleure protection des écosystèmes forestiers amazoniens via son antenne permanente installée à Cayenne. Dans sa volonté de protéger à plus long terme la forêt du plateau des Guyanes, le WWF utilise cinq leviers d’actions.
Tout d’abord, en lien avec les bureaux du WWF au Suriname, au Guyana et au Brésil, nous soutenons un réseau de coopération régionale, seule échelle pertinente d’action pour lutter contre les pressions environnementales dont les origines dépassent les frontières administratives et politiques. Dans le cadre de la protection des écosystèmes forestiers du Plateau des Guyanes, nous avons mis en place une initiative unique et ambitieuse d’évaluation des richesses naturelles de la région et des bénéfices qu'en tire la population locale au travers du projet d’Observatoire des services écosystémiques, ECOSEO, avec nos partenaires des agences gouvernementales forestières et environnementales du Guyana, du Suriname, de la Guyane et de l’Amapá au Brésil.
Nous avons ainsi pu élaborer une cartographie unique de l’occupation des sols à l’échelle des quatre territoires, qui nous donne pour la première fois une vision des changements ayant eu lieu en 15 ans, en particulier les zones déforestées et les causes qui en sont à l'origine. En continuité avec de précédentes initiatives, ce travail a également permis de mettre à jour la cartographie de la déforestation due aux activités minières par observation satellitaire avec aujourd’hui un recul de presque 20 ans (2001-2018). Nous sommes ainsi les seuls à produire cet indicateur précieux de l’évolution du phénomène à l’échelle régionale. Ces différentes cartes sont directement consultables sur la plateforme interactive du projet.
Nos travaux, en collaboration avec nos partenaires, ont surtout permis de tester pour la première fois à une si grande échelle, une méthode d’évaluation du Capital Naturel, la Comptabilité Écosystémique du Capital Naturel (CECN ou ENCA en anglais) capable de qualifier et quantifier les évolutions des trois grands compartiments des écosystèmes: le carbone, l’eau et la biodiversité. Bien qu’en partie encore expérimentale, cette méthode, reconnue par la Convention sur la Diversité Biologique (CBD) a confirmé, pour le Plateau des Guyanes, l’importance de niveau mondial de ses stocks de carbone et d’eau douce ainsi que son immense biodiversité, mais aussi leur dégradation marquée, en 15 ans, principalement dans les zones soumises à la pression de l’orpaillage. Ces travaux montrent qu'au-delà des seuls chiffres de la déforestation, faible en proportion de l’étendue des territoires, l’impact des activités extractives touche l'ensemble des compartiments des écosystèmes et affectent les services qu’ils rendent aux populations.
Ces services écosystémiques revêtent une importance particulière aux abords du fleuve Maroni, dont le bassin versant est partagé entre le Suriname et la Guyane. Bassin de vie avant tout, ce territoire est habité par une population nombreuse, y compris des communautés autochtones amérindiennes et noires marron (descendants d'esclaves fugitifs) dont les modes de vie sont très liés à la nature environnante. Les cours d’eau permettent le transport par pirogue, la forêt fournit des matériaux de construction, des ressources alimentaires et médicinales, les poissons du fleuve sont la base du régime alimentaire. Nos travaux, ont permis de réaliser une première évaluation des ces services à l’échelle du bassin du Maroni, en s'appuyant sur des méthodes scientifiques et des données de terrain. Nos résultats ont mis en évidence l’importance de ces services pour la population locale tout en soulignant les pressions qui les menacent à commencer par les impacts de l’orpaillage.
Enfin, le WWF cherche par son travail à mettre en valeur le patrimoine naturel et culturel exceptionnel du Plateau des Guyanes, au-delà des frontières de la région, afin d’alerter sur la nécessité de le préserver tout en permettant un développement économique et social équilibré qui bénéficie aux populations locales. C’est en ce sens que le WWF a organisé un événement dédié au Capital Naturel du Plateau des Guyanes lors du congrès mondial de la Nature de l’IUCN à Marseille en Septembre 2021, au cours duquel ont été présentés les résultats du projet ECOSEO. Des représentants des communautés amérindiennes du Haut-Maroni, de Guyane et du Suriname y étaient invités pour alerter le public quant aux difficultés rencontrées dans leur territoire, liées notamment à la dégradation de leur environnement.
Résumé vidéo des travaux d'évaluation du capital naturel présenté au Congrès mondial de la nature de l’UICN en Septembre 2021